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Le goût est-il protégeable par le droit d’auteur ?

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La saveur d’un fromage créé par un industriel et présentant, selon lui, un goût caractéristique, est-elle une œuvre susceptible d’être protégée par le droit d’auteur ? Tel est en substance l’enjeu d’une intéressante affaire plaidée devant la Cour de justice. Pour l’avocat général, c’est non. Que dira la Cour ?

Le Heksenkaas est un fromage à tartiner à la crème fraîche et aux fines herbes. Il a été créé par un marchand de légumes et de produits frais néerlandais en 2007. Par un contrat conclu en 2011 et en contrepartie d’une rémunération liée au chiffre d’affaires à réaliser sur sa vente, son créateur a cédé à Levola ses droits de propriété intellectuelle sur ce produit. Un brevet pour la méthode de production du Heksenkaas a été octroyé le 10 juillet 2012 et la marque verbale « Heksenkaas » a été déposée mi-2010.

Depuis le mois de janvier 2014, Smilde fabrique un produit dénommé « Witte Wievenkaas » pour une chaîne de supermarchés aux Pays-Bas. Les goûts sont, semblent-ils, proches.

Considérant que la production et la vente de Witte Wievenkaas portait atteinte à ses droits d’auteur sur la « saveur » du Heksenkaas, Levola a assigné Smilde.

Levola a défini le droit d’auteur sur une saveur comme l’« impression d’ensemble provoquée par la consommation d’un produit alimentaire sur les organes sensoriels du goût, en ce compris la sensation en bouche perçue par le sens du toucher ».

L’affaire finit devant la Cour de justice, afin de fournir une réponse européenne à cette question susceptible d’être tranchée en sens divers par les juridictions des Etats membres.

L’avocat général vient de rendre son avis.

La notion d’« œuvre » : notion uniforme et autonome du droit de l’Union

C’est devenu un mantra répété lors de chaque affaire : la notion d’« œuvre » (et donc la pierre angulaire de la protection) est une notion uniforme dans l’ensemble de L’Union, et autonome des particularismes nationaux éventuels. Tel est la première chose sur laquelle l’avocat général insiste : « une interprétation autonome et uniforme […] doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition et de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause.

« Il résulte de cette jurisprudence que le terme « œuvre » doit être considéré comme correspondant à une notion autonome du droit de l’Union, dont le sens et la portée doivent être identiques dans l’ensemble des États membres. Partant, il appartient à la Cour de donner à ce terme une interprétation uniforme dans l’ordre juridique de l’Union ».

Le goût est-il une œuvre protégée ?

On sait que les débats au sujet du parfum sont houleux en Europe : une fragrance, créée, est-elle une œuvre ? On retrouve peu ou prou des éléments similaires dans la présente affaire.

L’avocat général rappelle l’exigence d’une « création intellectuelle » ; il rappelle à la Cour qu’elle a relevé :

  • Dans l’arrêt du 16 juillet 2009, Infopaq International, qu’« il ressort de l’économie générale de la convention de Berne, notamment de son article 2, cinquième et huitième alinéas, que la protection de certains objets en tant qu’œuvres littéraires ou artistiques présuppose qu’ils constituent des créations intellectuelles »;
  • Que le droit d’auteur, au sens de l’article 2, sous a), de la directive 2001/29, n’était susceptible de s’appliquer que par rapport à un objet qui est original en ce sens qu’il est une « création intellectuelle propre à son auteur», c’est-à-dire lorsqu’elle reflète la personnalité de celui-ci (arrêt Painer) ;
  • Que le critère d’originalité n’est pas rempli lorsque la constitution d’une base de données (dont le contenant est protégé aussi via le droit d’auteur, contrairement au contenu protégé via le droit sui generis du producteur) est dictée par des considérations techniques, des règles ou des contraintes qui ne laissent pas de place pour une liberté créative (arrêt Football dataco) ;
  • Que le travail et le savoir-faire significatifs de l’auteur ne sauraient, comme tels, justifier la protection par le droit d’auteur, si ce travail et ce savoir-faire n’expriment aucune originalité dans le choix ou la disposition desdites données (idem).

L’avocat pose ensuite une question qui risque bien de rendre l’arrêt très polémique : tout objet qui serait original est-il une œuvre ? Il n’y a qu’une seule à vérifier : l’originalité qui qualifie ipso facto l’objet en tant qu’oeuvre.  Ou y a-t-il deux choses à vérifier : l’existence d’une œuvre, et son originalité?

Il s’exprime dans ces termes : « je considère, à l’instar de la Commission, que le fait qu’une œuvre peut être protégée au titre du droit d’auteur en vertu de l’article 2, sous a), de la directive 2001/29 uniquement si elle satisfait à ce critère d’originalité ne saurait cependant être interprété en ce sens qu’il impliquerait qu’à l’inverse, tout objet satisfaisant à ce critère devrait être “automatiquement” considéré, de ce fait, comme une “œuvre” protégée par le droit d’auteur au sens de ladite directive ».

Une saveur est-elle une œuvre ?

L’avocat général reformule donc la questions comme suit : indépendamment de l’originalité, une saveur est-elle une œuvre ?

Relisant Berne, il souligne que la Convention vise les « œuvres littéraires et artistiques », qui « comprennent toutes les productions du domaine littéraire, scientifique et artistique, quel qu’en soit le mode ou la forme d’expression ».

Pour lui , « cette disposition ne fait référence qu’aux œuvres qui sont perçues par des moyens visuels ou sonores, tels que les livres et les compositions musicales, à l’exclusion des productions qui peuvent être perçues par d’autres sens comme le goût, l’odorat ou le toucher. »

Il relève aussi que lorsqu’il y a eu doute, le droit a été modifié pour viser spécifiquement les nouvelles œuvres : par exemple les œuvres dans l’environnement numérique, tels que les programmes d’ordinateur et les compilations de données ou d’autres éléments.

Alors, en fin de compte ?

Le malaise est perceptible : en posant la question frontalement (l’existence d’une œuvre et de l’originalité sont-elles deux choses ou une seule, et dans le premier cas quels sont les objets éligibles en tant qu’œuvre), l’avocat général  s’enferme dans un raisonnement dont on perçoit les limites et qui pourrait se retourner contre lui.

Il en remet donc une couche sur l’absence d’originalité.

Il considère que « si le processus d’élaboration d’une saveur alimentaire ou d’un parfum requiert un travail et relève d’un savoir-faire, ils ne constitueraient des objets dont la protection pourrait être assurée par le droit d’auteur que s’ils étaient originaux. La protection au titre du droit d’auteur s’étend aux expressions originales et non aux idées, aux procédures, aux méthodes de fonctionnement ou aux concepts mathématiques, en tant que tels. Je considère que, si la forme dans laquelle une recette est exprimée (l’expression) peut être protégée par le droit d’auteur si l’expression est originale, le droit d’auteur ne protège pas la recette en tant que telle (l’idée). Cette distinction est appelée en anglais « idea/expression dichotomy » ».

Et, ajoute-t-il, ces expressions originales devraient être encore être identifiables avec suffisamment de précision et d’objectivité, ce qui n’est pas possible actuellement pour une saveur. Or, « malgré les efforts scientifiques déployés jusqu’à aujourd’hui pour définir sans équivoque les propriétés organoleptiques des produits alimentaires, en l’état actuel des choses, la “saveur” est essentiellement un élément qualitatif, lié au premier chef au caractère subjectif de l’expérience gustative. Les propriétés organoleptiques des aliments sont, en effet, destinées à être perçues et évaluées par les organes sensoriels, principalement le goût et l’odorat mais également le toucher, sur la base de l’expérience subjective et des impressions suscitées par l’aliment sur lesdits organes sensoriels. Une caractérisation objective de telles expériences n’existe pas encore ». A cela s’ajoute le fait que les saveurs sont « éphémères, volatiles et instables ».

Commentaires

Ne nous leurrons pas : la question posée est centrale pour l’industrie agro-alimentaire. Les enjeux sont colossaux. Après la bagarre pour le brevet portant sur le vivant, les marques sensorielles et autres OGM, cette bataille sur la saveur-œuvre est une étape de plus dans l’appropriation, par l’humain et ses créations juridiques, de son environnement naturel. Il y a ceux qui applaudissent et ceux qui pleurent devant cette évolution sociétale majeure. Choisissez votre camp.

A suivre, sans aucun doute ! (C-310/17)

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